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DR SERGE ABIHONA, À PROPOS DE L’UAC STARTUP VALLEY : « LES 100 ENTREPRISES LANCÉES ONT CRÉÉ 1000 EMPLOIS DIRECTS ET UN CHIFFRE D’AFFAIRE D’ENVIRON UN MILLIARD »

  24 mars 2021     9 : 19
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Un des quatre (04) programmes de la Fondation de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), l’UAC startup Valley accompagne et encadre les diplômés des universités dans la création et le développement d’entreprises.

Un travail qui nécessite une méthodologie millimétrée allant du changement de mentalités des incubés à la rentabilité de leurs idées d’entreprise en passant par un parcours qui exige endurance et autodiscipline. Pour cette quatrième publication de la thématisation du mois de mars consacrée à l’entrepreneuriat et à l’insertion professionnelle des diplômés du système éducatif, notamment dans l’enseignement supérieur, Educ’Action vous introduit dans l’univers des incubateurs d’entreprises portés par des institutions universitaires, marque de fabrique de l’UAC. Avec le Docteur Serge Abihona, spécialiste en économie entrepreneuriale et emploi des jeunes, directeur exécutif intrapreneur de la Fondation de l’UAC, il est question de faire le bilan du chemin parcouru avec une projection sur les perspectives de l’UAC Startup Valley. Lisez plutôt !

Educ’Action : Pourquoi la création de l’UAC Startup Valley ?

Dr Serge Abihona : L’UAC Startup Valley est un programme d’incubateurs d’entreprises. Ce programme a été mis en place par arrêté rectoral en 2014 par l’UAC pour contribuer à la résolution du problème de chômage et de sous-emploi des jeunes. Sa gouvernance et sa gestion sont assurées par la Fondation de l’UAC depuis 2015. En effet, la demande d’emploi au Bénin évolue à un rythme exponentiel. L’UAC seule déverse sur le marché 20.000 diplômés en moyenne chaque année. A peine 20% de ces diplômés arrivent à trouver un emploi décent dans les trois (03) ans après l’obtention de leur diplôme. En plus de cela, l’offre d’emplois, c’est-à-dire l’ensemble des entreprises essentiellement privées capables de recruter au Bénin, n’arrive pas encore à absorber ce nombre de diplômés et le peu d’entreprises que nous avons, ne durent pas dans le temps. L’offre d’emplois diminue de façon drastique chaque année. C’est dû, entre autres, au taux de mortalité des petites et moyennes entreprises au Bénin qui demeure très élevé (80% des PME meurent avant trois ans). Il y a donc une très forte inégalité entre l’offre et la demande d’emplois. C’est ce qui crée le chômage et le sous-emploi. On nous dit que le taux de chômage au Bénin est de l’ordre de 4% à 5%. Mais ce taux cache un taux de sous-emploi très élevé évalué à 70% en moyenne. Donc, le programme d’incubateurs d’entreprises UAC Startup Valley a été créé pour contribuer à la résolution du problème de chômage et de sous-emploi des jeunes diplômés des universités, mais aussi des lycées agricoles et industriels.

Quelle est donc la stratégie mise en place pour résoudre un tant soit peu le problème ?

Nous avons étudié les solutions qui ont été apportées par les autres au Bénin, en Afrique et dans le Monde. Nous nous sommes rendu compte que malgré les solutions apportées au Bénin, le chômage et le sous-emploi grimpaient au lieu de diminuer. Donc, il faut se poser des questions sur l’efficacité des solutions mises en œuvre, surtout au Bénin. L’UAC s’est mise donc à se poser des questions pour apporter une contribution plus efficace. La première question, pourquoi les jeunes n’arrivent pas à trouver de l’emploi après leur formation ? La deuxième est pourquoi il n’y a pas assez d’entreprises pour les absorber ? En réponse à la première question, en plus des causes classiques liées à l’inadéquation entre la formation et l’emploi, l’environnement non favorable à l’entreprise, le manque de matériels didactiques dans les universités, on s’est rendu compte que les étudiants ne sont pas assez préparés au cours des études universitaires à affronter le marché de l’emploi. Quant à la deuxième question, on a constaté que la plupart des petites et moyennes entreprises meurent rapidement pour plusieurs causes. En dehors des difficultés liées à la fiscalité et au manque de financement, la cause principale est surtout liée au défaut d’encadrement des jeunes entrepreneurs. On s’est donc demandé comment ces jeunes sont formés et comment on les prépare avant de leur donner le financement. Il y a donc un grand problème dans la préparation au métier d’entrepreneur, de suivi et d’accompagnement après la création de l’entreprise. On ne peut pas financer un jeune et le laisser seul au cours des trois premières années. Sur la base de ces constats, l’UAC s’est demandé quel modèle d’accompagnement et de formation l’on doit mettre en place pour répondre à ces préoccupations. Donc, nous avons mis en place un modèle que nous appelons le processus d’incubation qui dure quatre (04) ans et qui fonctionne suivant une approche d’apprentissage par la pratique avec un encadrement et un accompagnement de proximité qui améliorent la durabilité des entreprises créées et l’employabilité des étudiants et diplômés.


Comment se présente ce processus d’incubation ?

Nous sélectionnons les incubés à travers une compétition d’idées d’entreprises organisée une fois par an. Nous demandons aux étudiants et diplômés qui ont envie d’entreprendre de se mettre en groupe de quatre (04) personnes au maximum pour générer une idée d’entreprise. Un formulaire de trois (03) pages leur est donné pour qu’ils le remplissent. Sur ce formulaire, ils doivent fournir des informations sur l’idée d’entreprise et les porteurs de l’idée. Après, nous faisons une présélection sans porter un jugement de valeur sur leurs idées d’entreprise. Chaque groupe présélectionné passe devant un jury composé d’entrepreneurs, de bailleurs de fonds et de consultants pour défendre son idée d’entreprise. C’est après cela qu’on classe chaque année, les cinquante (50) ou cent (100) meilleurs groupes. Cela dépend de l’effectif prévu pour l’année. C’est donc le groupe qui a l’idée d’entreprise.
Ceux qui sont sélectionnés après la compétition, rentrent dans le processus pour quatre (04) ans. Au cours de la première année, nous faisons des ateliers sur l’éducation entrepreneuriale. On ne fait pas de la formation à l’entrepreneuriat. Dans l’éducation entrepreneuriale, nous accompagnons l’incubé jusqu’à ce qu’il réussisse. Notre slogan est ‘‘on vient apprendre à entreprendre ici en entreprenant’’. C’est différent des formations à l’entrepreneuriat où on outille sur la création et la gestion d’entreprise avec à la clef une attestation de formation sans accompagnement à la création, à la gestion et au développement de l’entreprise.
Les groupes sélectionnés sont d’abord préparés au métier d’entrepreneur à travers une phase recrutement/pré-incubation qui dure une année au cours de laquelle ils suivent les trois (03) ateliers techniques d’éducation entrepreneuriale. Les trois (03) premiers ateliers permettent de travailler sur leurs idées d’entreprises sélectionnées et le mode de pensée de chaque membre de groupe. Après les trois (03) premiers ateliers, nous prenons une pause pour filtrer et voir ceux qui sont vraiment engagés. Avant la fin de l’atelier trois (03), nous perdons 15%. Ce n’est pas qu’ils sont renvoyés mais ils partent d’eux-mêmes. Il y en a qui sont pressés pensant qu’il y a un financement immédiat. Comme il n’y en a pas, ils se découragent. D’autres pensent que c’est un programme auquel on participe pour prendre des perdiems. D’ailleurs, chaque groupe sélectionné paie 40 000 francs CFA pour contribuer aux charges de l’incubateur. Nous organisons un atelier par mois. A la fin de l’atelier trois (03), ils sont mentalement et psychologiquement préparés pour devenir entrepreneurs et ont transformé leurs idées en projets d’entreprises assortis de modèles économiques. Les 85% qui restent, poursuivent l’aventure.
Ceux-là suivent encore trois (03) ateliers d’études approfondis de leurs projets d’entreprises. Cette fois-ci, nous abordons les études de faisabilité et de rentabilité de leurs projets d’entreprises. A la fin de l’atelier six (06), nous les envoyons en stage d’immersion de deux (02) voire quatre (04) semaines dans des entreprises partenaires. L’objectif des stages d’immersion, c’est de permettre aux incubés de vivre la réalité organisationnelle, commerciale et technique d’une entreprise de leur domaine d’activité et de capitaliser cet apprentissage pour réaliser les premiers prototypes de leurs produits/services. Même si ce n’est pas trop parfait, c’est déjà un premier échantillon. Nous insistons sur cela pour mesurer aussi leur niveau d’engagement.
A l’étape de prototypage, nous perdons encore 5% à 10% des incubés. C’est en ce moment qu’ils trouvent que c’est trop contraignant, difficile parce que nous leur demandons de faire le prototype sur fonds propres. Ceux qui arrivent à faire le prototype même si ce n’est pas parfait, nous les accompagnons dans la recherche de financement et d’appuis techniques nécessaires pour améliorer et tester les prototypes puis lancer leurs entreprises. Il y en a qui commencent à vendre même les prototypes avant la création des entreprises. Certains incubés ont mobilisé une grande partie du financement de leurs projets par la vente des prototypes améliorés.
Sachant que les banques et institutions de micro-finance ne financent pas les start-ups au Bénin, nous prenons également le temps pour les préparer à des concours d’innovation, de plans d’affaires et à la négociation d’appuis d’investisseurs privés. C’est un ensemble d’accompagnement afin qu’ils soient informés des sources de financement innovantes et les mobilisent. A la fin de la phase de recrutement/pré-incubation, nous nous retrouvons avec la moitié des individus et des groupes. Donc, quand nous recrutons cinquante (50) groupes, il nous reste vingt-cinq (25) groupes en définitive et les groupes qui ont eu les financements nécessaires créent formellement leurs entreprises et rentrent dans la phase d’incubation des entreprises collectives créées qui durent deux (02) ans.
Au cours de cette phase, nous mettons un coach et un mentor à la disposition de chaque entreprise créée. Le coach peut être un entrepreneur ou un consultant en gestion ayant plus de 10 ans d’expériences en création et/ou gestion d’entreprise. L’incubateur même fait de la veille informationnelle pour leur permettre de trouver des financements complémentaires pour la croissance et leur faciliter l’accès au marché. Nous accélérons donc la croissance de l’entreprise pendant deux (02) ans. A part le coaching et le ‘‘mentoring’’, l’incubateur leur offre des formations spécifiques en fonction des besoins sur des thématiques liées à la gestion de l’entreprise, le marketing, la comptabilité, le droit des affaires, les normes de qualité, le design, les emballages, etc. En dehors de cela, nous faisons de l’audit pour voir comment l’argent est géré au sein de l’entreprise. Les entreprises sont suivies à travers la mesure périodique de sept (07) indicateurs de performance. Après les deux (02) ans, on fait une évaluation des indicateurs. Ensuite, l’entreprise est libre et se débrouille seule si les sept (07) indicateurs sont au vert. Dans le cas contraire, nous permettons à l’entreprise de rester encore un an en post incubation. Cette fois-ci, c’est pour consolider les acquis avant de partir.

Quel est donc le bilan que vous pouvez dresser ?

C’est en 2015 qu’on a lancé la première promotion où nous avons sélectionné vingt (20) groupes pour faire l’expérience. Pour la deuxième promotion, nous avons sélectionné quarante (40) groupes et la troisième promotion cinquante (50) groupes. Il faut dire que depuis la 3ième promotion, nous sélectionnons entre 50 et 100 groupes par an. Donc, de 2015 à 2020, nous avons pu sélectionner environ trois cent vingt-cinq (325) groupes, ce qui correspond à environ mille cent vingt (1.120) bénéficiaires. Comme c’est un système entonnoir, sur les trois cent vingt-cinq (325) groupes, sur les cinq (05) ans, c’est seulement cent vingt-cinq (125) groupes qui ont pu finir avec succès la phase de recrutement/pré-incubation. Sur les cent vingt-cinq (125) groupes qui sont restés, nous avons déjà pu transformer une centaine de projets en entreprises. Ces cent (100) entreprises ont déjà créé environ mille (1.000) emplois directs et trois mille (3.000) emplois indirects. Ce qui est intéressant, le chiffre d’affaires annuel cumulé des cent (100) entreprises avoisine un milliard de Francs CFA.
Grâce à l’accompagnement de l’incubateur, les incubés ont été lauréats de plusieurs prix et financements d’amorçage et de croissance tels que les subventions Tony Elumelu Entrepreneurship Program, les subventions d’Enabel via l’Hackathon P-Digitech 2020, les prêts d’honneur octroyés sur financement du NUFFIC et les subventions de projets d’entreprises octroyées par la BAD, le FIDA, la Banque Mondiale, le PNUD, etc.

Quelle est aujourd’hui votre lecture de leur niveau après l’accompagnement de l’UAC Startup Valley ?

Il faut dire que notre système éducatif ne prépare pas suffisamment les étudiants à affronter le marché de l’emploi. C’est un système éducatif qui forme des gens qui ont appris à répéter les autres. Malgré tout l’accompagnement basé sur l’éducation entrepreneuriale et l’apprentissage par la pratique, il y a des gens qui ne bougent pas en matière de mode de pensée, de posture. Ils sont environ 20%. Cependant, 80% des bénéficiaires intègrent ce nouveau paradigme. Au cours des premiers ateliers, certains se révoltent contre notre système éducatif. D’autres pleurent après notre premier atelier. La plupart de ceux que nous accompagnons sont transformés fondamentalement. En ce qui concerne ceux qui ne finissent pas la phase de recrutement/pré-incubation ou qui finissent cette phase mais qui ne deviennent pas des entrepreneurs, nous avons fait une étude sur eux. Il est démontré que ceux-là développent des compétences additionnelles et différentielles par rapport aux non-bénéficiaires de nos programmes. Beaucoup décrochent des emplois bien payés et valorisants. Ils font la différence au recrutement pour les postes de top management. En somme, le modèle d’accompagnement en vigueur à l’UAC Startup Valley a des effets positifs non seulement sur la création d’entreprises durables par les bénéficiaires, mais aussi sur la capacité des bénéficiaires, qui ne deviennent pas entrepreneurs, à décrocher des emplois salariés bien payés et valorisants.

Quelles sont alors les difficultés que vous rencontrez au cours de votre prestation ?

Les difficultés sont essentiellement liées au profil des étudiants et diplômés. Nous récupérons des diplômés d’un système éducatif peu efficace. Leur mode de pensée et d’action sont en général en déphasage avec les réalités socio-économiques. Il y a aussi le manque de moyens financiers suffisants pour faire bénéficier ce modèle d’accompagnement qui semble plus efficace, à un plus grand nombre d’étudiants et de diplômés.

Quid des perspectives ?

Les perspectives sont nombreuses car un incubateur d’entreprises doit être le temple de la créativité et de l’innovation. Nous avons construit en cinq (05) ans un modèle d’accompagnement qui est reconnu comme un modèle innovant et efficace. Nous avons amorcé la duplication/adaptation du modèle dans d’autres universités du Bénin en particulier et d’Afrique en général. Nous avons proposé aux autres universités du Bénin et d’Afrique de rentrer dans le consortium Groupement des Incubateurs et Pépinières d’Entreprises en Milieu Universitaire en Afrique (GIPEMU-Afrique). Les activités de GIPEMU-Afrique ont commencé en 2021 avec trois (03) nouvelles universités (UNA, UNSTIM et UADC). D’autres universités de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale ont déjà manifesté leur intention d’adhésion. Cela va contribuer à la visibilité de l’incubateur et de son modèle.
La deuxième perspective, c’est que nous voulons aller à la digitalisation complète du processus que nous avons commencé. Les contenus pédagogiques des six (06) ateliers ont été digitalisés et mis en ligne depuis 2020 via Skilled et Startup Follow-Up (SFU), deux (02) innovations de pédagogie entrepreneuriale numérique à l’actif de l’UAC Start-up Valley grâce à l’accompagnement de NUFFIC, de MDF West Africa et du corps des Business Incubatees Coachs certifiés. Aujourd’hui, nous faisons une grande partie des ateliers en ligne. Nous voulons renforcer cela pour que les universités étrangères qui vont intégrer le GIPEMU-Afrique puissent en bénéficier. C’est pour que les incubés de ces pays soient coachés essentiellement à distance, surtout dans le contexte sanitaire actuel caractérisé par la Covid-19.
Enfin, nous avons envie d’héberger les unités de production des entreprises à travers les agropoles et les technopoles à construire sur les terres données par les communes telles que Zè, Allada et Kpomassè. Ce sont des projets structurants pour lesquels nous sollicitons les appuis techniques et financiers des PTFs et de l’Etat.

Que dire pour conclure cet entretien ?

Je dirai qu’on ne décrète pas l’entrepreneuriat car l’entreprise n’est que le fruit de l’arbre qu’est la culture entrepreneuriale. On retient de notre expérience que pour contribuer efficacement à la résolution du problème de chômage et de sous-emploi des jeunes, il faut travailler à améliorer non seulement la qualité de la demande d’emplois, mais aussi la quantité et la qualité de l’offre d’emplois. Cela passe, entre autres, par une meilleure éducation entrepreneuriale des apprenants, la professionnalisation des formations et un meilleur accompagnement et encadrement des entreprises créées par les jeunes.

Propos recueillis par Enock GUIDJIME

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